Ces derniers temps, il ne s’écoule pas un jour sans un nouvel article sur les robo-advisors. Au-delà de l’attrait de la nouveauté, on peut se demander si ces engins constituent une réelle avancée. Une question qui va nous ramener aux bases de la gestion de portefeuille : faire croître un patrimoine financier sur la durée. Les robo-advisors peuvent-ils aider ?
Après plus d’un siècle de pratique, la conclusion pour celui qui a étudié l’histoire financière est sans équivoque : il n’y a pas de recette miracle, investir est plus un art qu’une science. D’ailleurs, même dans des domaines comme la médecine, un docteur peut vous dire ce qu’il faut éviter si vous voulez avoir une chance de vivre longtemps, mais il ne peut pas vous donner le secret pour devenir centenaire (pour Jeanne Calment, ancienne doyenne de l’humanité, c’était le sport et paraît-il… un verre quotidien de porto !).
Il n’y a pas de méthodologie ou d’algorithme miracle en gestion de portefeuille, seulement des règles issues des décennies d’expérience de ceux qui ont vraiment pratiqué ce métier.
A G I R E N S I T U A T I O N D ‘ I N C E R T I T U D E
Principe fondamental : la gestion de portefeuilles, c’est agir en situation d’incertitude.
Il faut commencer par reconnaître que l’on ignore ce que demain nous réserve. Les prévisions économico-financières abondent mais elles n’aident pas l’investisseur : elles ne sont historiquement pas fiables (exemple de l’étude de Prakash Loungani au FMI montrant que les économistes n’ont prédit que 2 des 150 dernières récessions) ; même quand elles s’avèrent justes on ne sait pas quand elles vont se réaliser ; et même quand elles se réalisent on ne sait pas comment les marchés vont réagir. L’économiste John Kenneth Galbraith avait d’ailleurs cette jolie phrase : « Il y a deux types de prévisionnistes : ceux qui n’y connaissent rien, et ceux qui ne savent pas qu’ils n’y connaissent rien ». Ce à quoi l’investisseur Howard Marks rajoute : « Il y a deux sortes de personnes qui perdent de l’argent : ceux qui ne connaissent rien et ceux qui croient tout connaître ». Donc pour bien gérer, il faut reconnaître son incapacité à prévoir, préparer le portefeuille à toutes les éventualités. Un bon skipper n’est pas un skipper qui prévoit la météo et les courants des trois mois à venir, mais un skipper qui a le bon matériel, le bon équipage et les bonnes compétences pour faire face aux problèmes qui ne manqueront pas d’arriver.
E T R E P A T I E N T E T C U L T I V E R S A D I F F E R E N C E
En finance, plus l’horizon de temps est court, plus nous nous trouvons dans l’aléatoire. Inversement, plus il est long, plus il est possible de se rapprocher du fondamental. Pour paraphraser Ben Graham, l’une des figures les plus respectées de notre domaine, l’investisseur de long terme est le seul type possible d’investisseur.
Il faut donc savoir être patient. Et plus on est patient, plus on bénéficie de la huitième merveille du monde, nom qu’Albert Einstein donnait paraît-il à la croissance exponentielle d’un capital dont les rendements sont réinvestis (par exemple, du 7.5% par an donne un capital multiplié par 9 en 30 ans).
Mais si la gestion de portefeuille se résumait à attendre, notre métier serait bien monotone… Etre patient ne veut pas dire être passif ou moutonnier. Bien au contraire, car pour réussir, il faut être différent. Les investisseurs légendaires des cent dernières années l’ont tous dit à leur manière, depuis la mouvance contrarian de John Neff jusqu’à l’approche de Seth Klarman, en passant bien sûr par Warren Buffett, avec son célèbre « Be fearful when others are greedy and be greedy when others are fearful ». La traduction non pas littérale mais dans l’esprit serait : Redoublez de prudence quand les autres sont euphoriques, mais soyez à l’affût des opportunités quand les autres paniquent.
P R O T E G E R S O N C A P I T A L
Dans le monde de la finance, les gardiens de buts David de Gea ou Thibaut Courtois seraient plus célèbres que Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo.
En effet, profiter d’un marché haussier, c’est quelque chose que tout le monde peut facilement faire. Sur les 5 dernières années, en cumulé, les actions ont gagné 71%, les obligations d’entreprises 21%, d’ailleurs quasiment tous les actifs traditionnels et alternatifs ont progressé. N’importe quel portefeuille dit « balancé » (moitié actions moitié obligations) aurait pu délivrer du 7.5% annuel (USD[1]).
Ce qui est en revanche fondamental, c’est de savoir gérer un marché baissier, autrement dit de protéger le portefeuille en évitant les chutes brutales dont il faut des décennies pour se remettre (cf la lapalissade énonçant qu’il faut gagner +100% pour se remettre d’une baisse de -50%). Assurer sa maison cela semble logique à chacun d’entre nous, ce devrait être la même chose pour un patrimoine… Eviter l’accident peut-être très improbable mais dans lequel on va perdre beaucoup.
Savoir gérer un marché baissier demande par ailleurs une indépendance d’esprit et une liberté d’action totale. Car cet objectif demande, dans certains cas, des actions extrêmes que des institutions comme les banques privées ne sont pas en mesure de prendre. Pourquoi ?
Leur rémunération est en grande partie liée à la composition du portefeuille de leurs clients. Un portefeuille avec des actions en fonds internes et du private equity est bien plus profitable pour elles qu’un portefeuille avec du cash et des lignes obligataires en emprunts d’Etat[2].
L A V A G U E D E S R O B O – A D V I S O R S
J’aime beaucoup la formule de François-Serge Lhabitant (professeur à l’EDHEC Business School) : « Les robo-advisors sont à la gestion de portefeuille ce que les fastfoods sont à la gastronomie. » Ou peut-être devrions-nous dire à la restauration ?
Effectivement, les robo-advisors permettent de démocratiser l’accès à un bien ou un service (ici, la gestion de portefeuille), en l’offrant à un plus grand nombre et pour un coût plus faible. Dans le même temps, ils constituent une vraie opportunité pour les acteurs de la gestion, leur permettant d’augmenter tout à la fois volumes (plus de clients) et marges (automatisation). Mais constituent-ils une opportunité pour le client ?
En vertu des principes que je viens de mentionner, c’est loin d’être évident, car les contradictions sont nombreuses.
Il a fallu industrialiser quelque chose qui n’était pas industrialisable (la gestion de portefeuille n’est pas une science) : tout comme les modèles des grandes banques de gestion de fortune, les robo-advisors reposent grosso modo sur les travaux d’Harry Markowitz en « Modern Portfolio Theory » (1952 !), afin de créer des portefeuilles optimisés en risque/rendement. Bien qu’obsolètes (la plupart des hypothèses sous-jacentes ont été depuis soit challengées soit infirmées), ces modèles sont toujours utilisés.
Il a fallu alimenter ces modèles avec quantité de prévisions chiffrées : exactement le contraire de notre principe de base sur l’incapacité de prévoir l’avenir. Dans un récent séminaire à Genève avec une des plus grandes firmes mondiales de conseil en management et informatique, en présentant ses services quant au Robo-Advisory, l’orateur a rappelé qu’il y avait en premier lieu pour les modèles utilisés le risque du « garbage in – garbage out »… autrement dit, si les chiffres rentrés ne sont pas fiables, les résultats obtenus ne le seront pas non plus.
Et quant à la capacité d’agir différemment du plus grand nombre, elle disparaît bien sûr dès lors que l’on applique et diffuse largement les mêmes modèles.
E N C O N C L U S I O N
Pour ceux qui sont en quête d’une gestion de portefeuille dans les règles de l’art, réfléchie, adaptée, sur mesure, rien de nouveau sous le soleil donc. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’innovations en finance. Chez Perennium, nous suivons de très près les développements dans le domaine de l’intelligence artificielle, et il commence à y avoir des possibilités d’application intéressantes. Mais il faut pour cela circonscrire les problèmes (on ne peut pas nourrir une machine de toutes les données de la planète et espérer qu’elle prédise les cours de bourse… rappelons-nous qu’il a fallu attendre mars 2016 pour qu’une machine batte un professionnel 9ème dan au jeu de Go).
Rappelons aussi qu’une condition sine qua non pour gérer des patrimoines financiers en étant uniquement focalisé sur la pérennité de ces derniers reste l’indépendance vis-à-vis des institutions bancaires. C’était une des raisons de la création de Perennium en 2013 : avoir une autonomie, une indépendance et une absence de conflits permettant une gestion uniquement axée sur l’intérêt de ses clients. Ceci est d’autant plus essentiel pour nous que nos clients sont des institutions caritatives ayant pour vocation de contribuer à un monde meilleur.
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[1] Références MSCI AC World TR exprimé en USD et Barclays Global Aggregate couvert en USD respectivement, 5 ans jusqu’au 27 octobre 2017.
[2] Les banques cherchent en permanence à maximiser leur RoA (Return on Assets), ie leur profitabilité sur les actifs de leurs clients. A ce sujet et pour l’anecdote, un cadre dirigeant d’une grande banque locale a récemment confié que pour contrebalancer la perte de revenus liée à la fin des rétrocessions (MiFID II transposé en Suisse), il allait faire augmenter la part de Private Equity dans les portefeuilles.