Un éclairage sur l’Investissement Responsable

Ce Blog a bientôt un an, et je me rends compte que je n’ai encore jamais abordé le sujet de l’Investissement Responsable (ISR). Trop évident sans doute, compte tenu de nos activités ; et trop « tarte à la crème » aussi . Cependant, devant tant d’informations inexactes ou approximatives qui circulent, il est opportun de clarifier le sujet. Tour d’horizon.

Commençons par un peu de provocation. Non, le concept de l’ISR n’est pas nouveau (le premier fonds recensé remonte à 1928). Non, la part de marché de l’ISR en Europe n’est pas 50%, comme une étude régulièrement citée le laisse à penser, mais plutôt 10 fois moins. Non, l’ISR n’est pas bien compris : deux investisseurs individuels français sur trois n’en ont jamais entendu parler [1].

« Le cameraman », de Buster Keaton, un film datant de 1928, tout comme le premier fonds ayant un filtre éthique (Pioneer Fund).

Et surtout, l’ISR est mal défini. Officiellement, c’est une démarche d’investissement visant à intégrer de façon systématique et traçable des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) à la gestion financière [2]. En pratique, cela recouvre 7 différentes familles de stratégies, ce qui génère beaucoup de confusion. Le plus simple est de raisonner par rapport à ses objectifs et à ses attentes propres.

 

I N V E S T I R   E N   C O H E R E N C E

Un premier objectif peut être d’aligner ses investissements avec sa mission ou ses valeurs. Exemple : l’Eglise d’Angleterre exclut la pornographie et le clonage humain. Autre exemple : Axa, en tant qu’assureur santé, se désengage de l’industrie du tabac. Mais il est possible de faire plus fin, en regardant entreprise par entreprise plutôt que d’exclure des pans entiers d’activités (secteurs), et en utilisant des normes sociétales communément admises à travers le monde (cf le Pacte Mondial des Nations-Unies). Le rejet de la corruption fait plus l’unanimité que celui des OGM.

En résumé, le gérant d’actifs filtre l’univers d’investissement via des critères non financiers puis investit « normalement » en utilisant uniquement des critères financiers.

 

I N V E S T I R   E N   P R O F O N D E U R

Un second objectif est de diminuer le risque (d’augmenter la performance ajustée au risque). L’idée est de prendre en compte le champ le plus large possible, au-delà des aspects purement financiers, pour identifier les problématiques de long terme (certains coûts ne sont pas pris en compte, certains actifs ne sont pas pérennes, certaines pratiques sont contre-productives). Exemple : l’approche de gestion de la société fondée en 2004 par David Blood et Al Gore, dont le fonds d’actions mondiales est par ailleurs une référence en termes de performance financière.

En résumé, le gérant d’actifs prend en compte simultanément les critères financiers et non financiers.

Pour éviter un réchauffement de plus de 2 degrés, la très grande majorité des réserves de combustibles fossiles existantes seront inutilisables, et donc sans valeur (mother nature network / Sami Grover, 2015)

 

I N V E S T I R   E N   I M P A C T

Un troisième objectif peut être de « changer le monde » : avoir un impact dans le domaine social ou environnemental, mais également un rendement financier. Exemple : investir en fonds de microfinance pour réduire la pauvreté. Les champs les plus fréquents sont l’inclusion financière, l’habitat, l’énergie (renouvelable), l’alimentation, la santé, l’éducation.

En résumé, le gérant d’actifs est ici un gérant très spécialisé, qui opère en Private Equity et Private Debt, le plus souvent en pays émergents.

 

I L   E S T   D E S   M O M E N T S   O U   I L   F A U T   C H O I S I R . . .

Source de complexité supplémentaire, les trois objectifs mentionnés ne sont pas forcément compatibles entre eux. Supprimer le tabac d’un portefeuille cela n’a rien à avoir avec une recherche de performance. La performance sera ce qu’elle sera, la décision a été prise sur d’autres critères (alignement investissement / mission & valeurs). Le tabac peut d’ailleurs être un très bon investissement si l’on ne juge que par des critères financiers restreints, ainsi un célèbre fonds américain spécialisé dans le vice et l’addiction (tabac, alcool, casinos, marijuana, armes) a battu 9 années sur 10 son benchmark dans la décennie 2004-2013…

Et nous n’avons pas encore mentionné la démarche d’engagement, qui consiste à utiliser son pouvoir d’actionnaire de société pour faire évoluer le comportement de ladite sur les aspects ESG, en utilisant un dialogue régulier et/ou le vote en assemblées générales. Une autre façon de « changer le monde ».

 

E N   C O N C L U S I O N

Vous en savez maintenant plus que la très grande majorité sur ce sujet, et vous ne ferez pas comme le patron de l’investissement responsable du plus grand asset manager européen, qui a récemment déclaré que pour lui l’ESG finirait par battre l’ISR… confusion totale. Un peu comme si on disait que le thermomètre ou la pression atmosphérique allait battre les prévisions météo… Rappelons donc que la RSE, c’est le comportement responsable des entreprises ; l’ISR, c’est l’approche responsable des investisseurs ; et que les critères ESG, ce sont les critères de mesure.

Rappelons aussi qu’il n’y a pas de « taille unique » ni de vérité ultime en ISR. Savoir pourquoi on se lance dans une démarche ISR est essentiel, et cela éclairera la question du comment. Une fondation qui demanderait à toutes ses banques de passer ses portefeuilles en 100% ISR obtiendrait un agrégat incohérent et inefficient, faute de logique sous-jacente et de pilotage spécifique. Le travail doit être fait en amont. Ce n’est pas au maçon ou au menuisier de faire le plan d’ensemble, c’est à l’architecte. C’est pourquoi Perennium approche l’ISR comme le reste de ses activités. Ecouter, expliquer, concevoir, mettre en place, superviser : nous accompagnons nos clients de bout en bout. Sans prosélytisme (nous ne sommes pas des « vendeurs d’ISR »), tout simplement en investisseurs pragmatiques.

Bel été à toutes et tous !

 

[1] Voir http://www.vigeo-eiris.com/fr/les-francais-et-lisr-resultats-de-la-8eme-enquete-ipsos-pour-vigeo-eiris-et-le-fir/

[2] Source : novethic